Le jazz des années (19)20 au féminin
Le jazz des années (19)20 au féminin

en concert

Après deux Cd en studio Certains L’Aiment Chaud a choisi d’enregister ce troisième disque en concert. Témoignage de l’enthousiasme, la sincérité et le plaisir de jouer des musiciennes, servi par un enregistrement de grande qualité, il est le reflet fidèle du répertoire éclectique et du style original de l’orchestre.

4.

Body and Soul (J.W.Green-R.Sour, E.Heyman, F.Eyton)

06:02

5.

What’s the Use of Being Alone (P.Bradford)

02:12

6.

I’ve Got What It Takes (C.Williams)

05:39

7.

Ain’t Misbehavin’ (T.Waller, H.Brooks)

06:03

8.

Handful of Keys (T.Waller)

03:24

9.

Petite Fleur (S.Bechet-S.Bechet, F.Bonifay)

04:00

10.

Got Everything (J.Palmer, A.Razaf)

05:23

11.

In My Dreams (O.Rene, L.Rene)

06:12

12.

C’est Si Bon (H.Betty-A.Hornez)

06:27

13.

The Terror (C.Jackson)

02:56

 

durée totale:

1:02:22

Personnellement, je déteste l'expression "vieux style", le terme est réducteur - et contient en creux des concepts pervers sur lesquels il serait un peu long de s'étendre - et puis nous sommes dans les années deux mille dix, et tous les jazz qui se jouent sont des musiques de leur temps, c'est à dire des années en question. Je sais bien qu'il y a des addictés de la reconstitution, mais ils ne font qu'enfiler une livrée obsolète, les moules originaux sont cassés depuis belle lurette et personne n'a la plus petite idée de la manière dont fonctionnaient les icônes des années vingt, même si certains témoignages permettent d'approcher ces personnages souvent déconcertants.

Restent les affinités et les influences. Restent ces critères intangibles que sont le savoir parler un certain langage tout en restant soi-même, la capacité de partager énergie et émotion avec un public, la synergie du groupe, le sens des enjeux. Avec tout ça, un tas de jazz sont possibles, le domaine est vaste et vous avez le choix entre cent propositions - dont celle-là, qui se profile avec soubassophone et banjo, donc immédiatement cataloguée "vieux style" selon l'expression susdite, absurde et à oublier: Certains L'Aiment Chaud apporte depuis très longtemps sa part de "nouveauté dans la tradition" (selon la formule de Wilbur de Paris), et voilà, c'est tout. C'est comme ça qu'on agrandit le jardin.

Tout le monde connaît la môme Desplat, dite Kiki, qui poussait dans ses années juvéniles la goualante depuis son washboard du Cyril Jazz Band, tout en commençant à cultiver le cornet. On reconnaîtra dans son jeu une certaine influence bixienne, mais elle fait surtout du Desplat et c'est très bien comme ça: son jeu de cornet a beaucoup de qualités - belle sonorité, beaucoup d'aisance - et elle a de la cohérence dans l'improvisation. Quand elle chante, c'est plus du côté de Jean Constantin que du côté de Bessie Smith que ça se passe, quoi qu'en dise avec insouciance l'argumentaire de l'orchestre; et quand elle arrange, elle est particulièrement performante. Sa connivence est évidente avec sa partenaire Sylvette Claudet, excellente musicienne (elle fait partie des gens avec qui on entend chanter le bois de l'instrument) et qui va jusqu'à manier avec habileté la clarinette basse. Connivence aussi du tandem banjo-soubassophone formé par Nathalie Renault et Claude Jeantet. Quand à Shona Taylor, je me la connaissais que cornettiste, la voilà au piano, où son rôle est de lier la sauce, ce dont elle s'acquitte consciencieusement.

Certains L'Aiment Chaud est une formation sur la brèche depuis un bon bout de temps, et je me souviens d'avoir croisé ces demoiselles, un tantinet crispées et alors en salopettes, lors du Jazz Band Ball 1985 À la mairie de 5e. On en était alors quasiment à la préhistoire de cet orchestre exclusivement féminin et qui aura traversé avec sérénité des époques pas toujours faciles. Pour se supporter aussi longtemps, il faut que beaucoup d'amitié circule, et la première chose que l'on remarque dans cet orchestre (qui ne se présente plus en salopette), c'est qu'il transpire le bonheur d'être ensemble. C'est une musique joyeuse, que certains amateurs de jazz pur et dur trouveront sans doute manquant de profondeur, oubliant que le jazz vient aussi du music-hall et qu'il n'est pas que musique: il est aussi spectacle et divertissement.

Il faut donc juste se laisser aller, comme l'ont fait sans se poser de questions les spectateurs de l'Archipel, lieu parisien dont la programmation marie musique et cinéma et où l'album a été enregistré. Loi du genre: comme pour tout spectacle dont il n'y a que le son, l'intérêt de l'auditeur connaîtra d'autres variations que celui du spectateur: il ressentira quelques longueurs au fil de cet album. Mais il y trouvera aussi des moments gratifiants: le programme est bien ficelé, le répertoire souvent original, quelques standards sont accommodés de manière inattendue, et les sirènes de la formation y vont ça et là de séduisants trios.

Comme la patronne réside en Suède et ses acolytes à Paris, on peut se demander comment se met au point l'horlogerie d'un système qui tourne... comme une horloge, justement. Renseignement pris, ces dames utilisent beaucoup Internet et ont la comprenette rapide... comme disait le Lion: "Les jazzmen sont des gens qui pensent cinquante pour cent plus vite que les autres." Aphorisme qui vaut aussi pour les jazzwomen... sans compter qu'il faut être sacrément culotté pour pondre un arrangement aussi exigeant sur Handful of Keys - rien que l'idée est un challenge - et venir le livrer tout cru sur scène, sans filet et l'air de rien. (Laurent Verdeaux)

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